Originaire de Calais dans le Nord de la France, Christophe Dufossé a posé ses valises à Metz il y a 15 ans en rachetant, avec son épouse Delphine, La Citadelle, cette imposante forteresse militaire construite en 1552, classée à l’Inventaire des Monuments Historiques. Aujourd’hui, son groupe Maison Dufossé regroupe un hôtel (La Citadelle), un restaurant étoilé (La Table), une Brasserie, une Épicerie et une activité traiteur. Il y a quelques semaines Christophe Dufossé m’a ouvert les portes de son univers et a accepté de se prêter au jeu d’une interview. Une belle occasion d’évoquer le parcours impressionnant de ce chef à l’énergie débordante qui a également, depuis 2009, un restaurant à Chengdu en Chine.
Est-ce que quelque-chose ou quelqu’un vous a inspiré dans votre choix de devenir chef ? Je suis né à Calais dans le Nord de la France, mais mes parents se sont installés en Alsace lorsque que j’avais 7 ans. Cela m’a donné l’opportunité de passer beaucoup de temps avec ma grand-mère alsacienne qui était une grande cuisinière mais aussi une épicurienne. Elle m’a donné le sens du goût, certaines valeurs et m’a permis de découvrir que la cuisine était mon élément. A l’âge de 15-16 ans, c’est tout naturellement que je me suis orienté vers des études culinaires. La cuisine est rapidement devenue une passion pour moi et à l’âge de 20 ans mon rêve était déjà de décrocher des étoiles au Guide Michelin! Sur le plan professionnel, Alain Ducasse a toujours été un modèle pour moi, en tant que Chef bien sûr mais aussi en tant qu’entrepreneur. J’ai beaucoup d’admiration pour ce qu’il a construit mais aussi pour l’homme et son sens du partage et de la transmission. Il m’a beaucoup inspiré et continue de m’inspirer encore aujourd’hui.
Une fois votre diplôme en poche, quel a été votre parcours? Une fois diplômé du Lycée Hôtelier de Guebwiller en Alsace, j’ai commencé par travailler quelques saisons dans des établissements de prestige comme le Louis XV d’Alain Ducasse à Monaco ; le restaurant triplement étoilé de Paul Bocuse à Lyon ; l’Eden Roc à Antibes ainsi que le restaurant du Byblos des Neiges* à Courchevel pendant les Jeux Olympiques. J’ai occupé mon premier poste de Chef de Cuisine à l’âge de 29 ans au restaurant du Relais & Châteaux Royal Champagne à Epernay pour lequel j’ai décroché une première étoile au bout d’un an. Une étoile qui m’a ouvert des portes puisque j’ai très rapidement été sollicité par Monsieur François Schneider, alors propriétaire du Domaine de Roncemay en Bourgogne pour prendre la tête de la restauration et gérer, avec mon épouse Delphine, l’ensemble du domaine, qui en plus du restaurant, comprenait un golf, un spa, un hôtel et une confiturerie. Un beau défi qui nous a occupé pleinement pendant 4 ans et fut illuminé dès la première année par l’attribution d’une première étoile Michelin pour le restaurant gastronomique. C’est à ce moment-là que j’ai lancé la première boutique Christophe Dufossé qui proposait des produits comme du foie gras, des macarons, de la guimauve, des chocolats. Après ces quatre années, mon épouse et moi avons décidé de relever un nouveau défi : celui d’investir nous-même dans un projet. Après avoir visité plusieurs endroits dans différentes régions de France, nous sommes tombés sous le charme de Metz et de La Citadelle. Nous sommes arrivés ici en 2004, et après une rénovation complète du bâtiment sous la direction de l’architecte Gérard Hypolite, l’hôtel la Citadelle et le restaurant gastronomique Le Magasin aux Vivres** ont ouvert leurs portes en 2005. En 2006, un an après son ouverture, Le Magasin aux Vivres obtenait sa première étoile au Guide Michelin, étoile que nous avons toujours maintenue depuis.
*: aujourd’hui Palace des Neiges **: aujourd'hui La Table
La Table de Christope Dufossé (anciennement Le Magasin aux Vivres)
Maison Dufossé compte aujourd’hui un hôtel, un restaurant gastronomique, une brasserie, une épicerie et un traiteur. Comment imaginez-vous le développement de ce petit «empire»? Après l’ouverture de l’hôtel et du restaurant gastronomique en 2005, nous avons effectivement développé une activité traiteur à partir de 2014, et ouvert La Brasserie au sein même de La Citadelle la même année. Il y a un an nous avons repositionné toute l’identité du groupe qui s’appelle aujourd’hui Maison Dufossé. Notre restaurant gastronomique Le Magasin aux Vivres a changé de nom pour devenir La Table. Notre dernier-né est l’Épicerie en avril 2019, un concept store de 600m2 situé à Marly à quelques minutes du centre de Metz, qui propose en plus de 1200 références en épicerie fine, un espace boulangerie-pâtisserie, de la restauration sur place ou à emporter, un caviste, et deux ateliers consacrés aux cours de cuisine. Notre activité traiteur est désormais située à la même adresse que l’épicerie avec un laboratoire/cuisine de 1000m2 et un espace de stockage de 1400m2. Pour 2020 notre grand projet concerne essentiellement notre hôtel La Citadelle qui fait partie de la collection MGallery du groupe Accord. Cette collection regroupe une petite centaine de boutique-hôtels ayant en commun leur caractère unique, que ce soit par leur design ou l’histoire qu’ils racontent. La Citadelle, qui compte actuellement 79 chambres au standard 4 étoiles, va faire l’objet d’une complète restructuration en 2020 pour offrir encore plus de confort à nos clients et passer en 5 étoiles. L’hôtel comprendra alors un spa et une salle de fitness. L’ensemble des chambres sera rénové et des suites seront ajoutées aux deux qui existent déjà. Nous allons également refondre le bar qui offrira aussi un menu court avec quelques options de snacking simples comme les club-sandwichs ou la salade césar. Notre brasserie, qui a beaucoup de succès, gardera le même esprit élégant et décontracté avec une carte gourmande alliant finesse, tradition et modernité à un prix accessible. Pour ce qui est de La Table, notre objectif depuis le début est celui du partage et de l’excellence. Mon équipe et moi donnons le meilleur de nous-même chaque jour et les réactions positives de nos clients sont notre plus grande récompense. Bien sûr, les cuisiniers que nous sommes, espèrent un jour obtenir une deuxième étoile Michelin.
L'Épicerie Maison Dufossé; Extérieur - Espace boulangerie - L'un des espaces Atelier Cuisine
En 2009, vous avez ouvert un restaurant à Chengdu en Chine. Pourquoi la Chine ? Après la cuisine, ma deuxième grande passion est le foot, et c’est par l’intermédiaire du centre de formation du FC Metz que j’ai eu l’opportunité d’aller dans ce pays fascinant, plus particulièrement à Chengdu, une ville de 18 millions d’habitants située dans la province du Sichuãn. L’hôtel 5 étoiles Jinjiang cherchait un chef étoilé pour ouvrir un restaurant gastronomique. J’ai eu un bon contact avec le Président de l’hôtel, qui est lui-même un ancien Chef de Cuisine. Nous parlions le même langage et le challenge d’ouvrir un restaurant en Chine m’a plu. Un an et demi plus tard, le restaurant Jin Yue by Christophe Dufossé ouvrait ses portes. Depuis deux ans, je m’occupe également de toute la partie pâtisserie et boulangerie pour tout l’hôtel et nous gérons la partie restauration pour les évènements privés tels que les mariages ainsi que pour la zone VIP de l’hôtel qui accueille régulièrement des personnalités du monde entier comme Angela Merkel, Michelle Obama, ou encore M. Rafarin. Comment décririez-vous votre cuisine? Je dirais que c’est une cuisine authentique et épurée, qui se concentre sur l’essentiel: le produit, la cuisson, les saveurs. Le produit est primordial pour moi, bien sûr, il doit être de saison et de qualité, mais cela n’est pas suffisant, et de la même manière que mes plats racontent une histoire, j’ai besoin de connaître l’histoire du produit et celle de son producteur. Ensuite, il s’agit de le travailler avec respect en associant les saveurs tout en le laissant s’exprimer. Ce travail doit se faire de manière subtile et c’est là souvent que la mémoire gustative de mes voyages me guide, au détour d’un aromate, d’une épice, d’un agrume. Si ma cuisine est simple, j’aime intriguer le palais, le surprendre avec une note inattendue. Je dirais également que ma cuisine est une cuisine de sincérité. Elle vient du cœur et vous pouvez trouver un bout de mon histoire dans chacun de mes plats. Si vous prenez par exemple la Langoustine, un de mes plats-signature, cette langoustine peut venir de Bretagne mais aussi souvent de Boulogne près de la ville où je suis né. Je lui associe le raifort, un clin d’œil à l’Alsace qui m’a vu grandir et une sauce safranée, en référence à certains de mes voyages. Rester vrai tout en provoquant une émotion reste mon fil conducteur.
Langoustine à La Table
Quelles sont vos sources d’inspiration? L’inspiration pour moi est toujours en toile de fond. C’est pourquoi j’ai constamment un petit carnet sur lequel j’écris mes idées dès qu’elles émergent, quelques-fois en y ajoutant un dessin. Je suis un rêveur et je suis persuadé que cette part de rêve, qui est innée chez moi, joue pour beaucoup dans le fil de mon inspiration. Cette inspiration peut venir de beaucoup de sources comme les voyages, les lectures, les visites chez les producteurs et sur les marchés, les réseaux sociaux, l’humeur, les saisons… je dirais que les sources d’inspiration se cachent un peu partout. J’aime également associer mes équipes au développement du menu, les faire travailler sur une idée qui n’est pas aboutie, leur ouvrir une voie et les laisser plancher dessus. Pour moi le rôle de transmission d’un chef et le travail d’équipe sont primordiaux. Comment choisissez-vous vos fournisseurs? Le choix de mes fournisseurs se fait au fil de mes rencontres. J’aime sentir la passion chez les éleveurs et les producteurs avec lesquels je travaille car je pense que c’est la clé. Le bon produit prend du temps, il s’élève dans le respect, il demande de la sincérité, de la rigueur et du suivi. La relation que j’entretiens avec mes fournisseurs se base sur la confiance, nous échangeons et construisons une histoire ensemble.
Turbot de Ligne Rôti - Homard Breton sauce Coco-Curry, -Cerise Lorraine à La Table
Quels aspects de votre métier préférez-vous? J’aime la diversité de mon métier, le fait d’entreprendre et développer des projets nouveaux en permanence. J’éprouve autant d’excitation et de passion dans ma cuisine quand je travaille en osmose avec mes équipes que lorsque je travaille sur un nouveau projet. Je n’aime pas la routine et c’est sans doute pour cela que je développe un projet nouveau tous les un an et demi/ deux ans. Ces axes de développement multiples me permettent de donner de l’émotion à des clients variés, avec des offres différentes. Quels conseils donneriez-vous à des jeunes voulant se lancer dans le métier? Je leurs dirais d’être honnêtes avec eux-mêmes et de se lancer dans ce métier s’ils sont vraiment passionnés. C’est un métier qui demande beaucoup de travail, de sérieux et de courage et dans lequel on ne peut s’épanouir pleinement que si on est passionné. Je leurs conseillerais aussi de ne pas être trop pressés, de ne pas vouloir brûler les étapes car la transmission est un paramètre important du métier de chef. Enfin, je leurs dirais d’être curieux, épicuriens, de voyager autant que possible et de découvrir d’autres cultures.
La Salle à Manger du Chef: un espace privé où le Chef Christophe Dufossé reçoit des groupes de 4 à 12 personnes dans une ambiance conviviale et cuisine devant eux des ingrédients qu'ils ont choisi 48h à l'avance parmi une liste de 25 produits de saison.
Texte et photos: Nathalie T. Publié le 2 octobre 2019